L’aventure industrielle et navale qui s’est jouée dans l’arsenal de Lorient au XIXe siècle demeure peu connue. Pourtant, à partir des années 1820, l’État choisit ce site pour y développer certains prototypes qui participèrent à la transmutation du navire de guerre passant, en un peu moins d’un siècle, du vaisseau de ligne à propulsion vélique au cuirassé à artillerie sur tourelle. C’est ainsi que, entre 1818 et 1820, l’arsenal construisit les deux premiers bâtiments à vapeur de l’histoire de la Marine française, les avisos à roues Africain et Voyageur, ouvrant la voie à plusieurs autres prototypes et à une culture tenue de l’innovation.
L’histoire du transporteur Isère, mis en chantier au début de l’été 1863, s’inscrit dans cette période bouillonnante de l’industrie navale, intégrant les savoir faire de l’époque : coque et charpente en métal, moteur à vapeur avec arbre d’hélice, tout en conservant des capacités de propulsion vélique.
Coulée devant le port de Locmiquélic
Fort d’une machine à trois cylindres de 560 chevaux, conçue selon les principes de l’ingénieur Dupuyde- Lôme, « un enfant du pays », et d’une coque de 62,2 mètres de long pour 9,4 de large, ce navire déplace 1 283 tonneaux. Avec sa soixantaine d’hommes d’équipage, l’Isère contribue aux missions de transport et de ravitaillement des bases navales en métropole et dans les colonies, participant notamment à l’expédition du Tonkin en 1884.
Un an plus tard, c’est une mission prestigieuse qui lui est confiée lorsqu’elle est choisie par la Marine pour transporter la statue de la Liberté offerte par la France aux États-Unis pour commémorer le centenaire de son indépendance. Les quelque 212 caisses contenant les pièces détachées de l’oeuvre réalisée par Frédéric Bartholdi, à laquelle ont contribué Eugène Viollet- le-Duc et Gustave Eiffel, sont chargées au port fluvial de Rouen avant de prendre la mer, le 21 mai 1885, à destination de New York. Arrivée en rade le 17 juin, après une traversée de l’Atlantique compliquée par le mauvais temps, l’équipage est accueilli triomphalement deux jours plus tard à Bedloe’s island, pour livrer sa précieuse cargaison.
Désarmé à Rochefort en 1904 et rayé des listes de la Marine sept ans plus tard, l’Isère a été réutilisé à partir de 1924 comme ponton à l’arsenal de Lorient puis, pendant la « poche », reremorqué par la Kriegsmarine devant le port de Locmiquélic, où subsistent encore aujourd’hui, par une dizaine de mètres de profondeur, les vestiges des soutes qui ont accueilli l’oeuvre de Bartholdi.
Christophe Cérino
Historien maritime à l’université de Bretagne sud UMR CNRS
« Temps, Mondes, Sociétés »
Président du Musée sous-marin du Pays de Lorient.