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Le mustang de Georges Demeulenaere

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Patiemment, depuis plus de 20 ans, Georges Demeulenaere construit un Mustang de A à Z. Son rêve : voir voler cet avion de chasse américain qui joua un rôle déterminant dans la victoire des Alliés.

L’essentiel dans une vie n’est pas d’avoir des rêves mais bien de les vivre, même s’ils semblent fous.

Et c’est justement à la découverte d’une chimère, insensée pour le commun des mortels, que je m’en vais en ce matin humide et brouillardeux de novembre, sous la chape d’un ciel breton plombé. La chimère d’un homme qui, au crépuscule d’une vie d’aventures, espère bien concrétiser son rêve de voler avec un Mustang, cet avion de chasse américain qui joua un rôle déterminant dans la victoire des Alliés sur l’ogre nazi et qu’il construit patiemment de A à Z depuis plus de 20 ans.

Georges Demeulenaere, surnommé dans le coin Demeu, et son épouse se sont installés au village du Pont en Lanvaudan auquel le bourg aux maisons moyenâgeuses, la chapelle Saint-Melec, les stèles gauloises, la fontaine Saint-Roch, les champs, les bois et les talus, donnent un charme si insigne et magique, que le monde d’un XXIe siècle effréné en paraît bien plus cinglé que le rêve de Georges. Ni passéiste ni arriérée, cette commune de 1 800 ha aux 800 âmes, en forme d’ailes de papillon, qui attire de nombreux jeunes couples en quête de quiétude agreste, possède de bien beaux atouts et atours.

Comme cette sympathique bibliothèque installée dans l’ancien presbytère – où, en 1796, résista une poignée de soldats bleus à 2 000 chouans – coquettement réaménagé avec une petite salle qu’anime l’association Du bruit dans la grange ou l’une de ses 14 autres associations, parmi lesquelles Terres fertiles qui organisera en septembre la 17e édition de son insolite festival de musiques et chansons. « On s’y sent bien », me confient Georges Demeulenaere et son épouse.

Ce sentiment d’y bien vivre n’est pas étranger à la folle entreprise de Georges de construire ce Mustang dans une ancienne étable du village de Kerprat. Et bien sûr de le faire voler. Les dimensions du bâtiment l’ont contraint à dessiner et construire un avion réduit aux trois quarts dont le nez et la queue touchent les deux murs opposés. Depuis sa retraite, voilà un quart de siècle, inlassablement ce Flamand d’Armentières se rend en voiture du Pont à Kerprat où il usine pièce par pièce, carlingue et ailes en composite, la totalité de son avion dans lequel il a déjà investi près de 60 000 euros.

Une vie aventureuse pleine de péripéties

Il s’y connaît bien cet habile ingénieux qui, avec son seul CAP de dessinateur industriel, a été cartographe, militaire, aviateur, constructeur naval, scaphandrier. « Il sait tout faire de ses mains », dit tendrement ébahie son épouse, italienne d’origine, rencontrée à Paris alors qu’ils dessinaient tous deux des cartes – elle avait travaillé à l’IGN – pour une compagnie pétrolière américaine. Parcours atypique mais ô combien riche de ce couple qui a, selon leurs propres mots, fui Paris pour Bonnières, puis Cherbourg et atterri à Lorient où Georges rentre aux Chantiers de la Perrière.

Mobilisé en pleine guerre d’Algérie, passionné d’avion depuis ses 17 ans, il s’engage et suit une formation d’aviateur à Marrakech. Mais quand il prend conscience qu’il sera sans doute amené à tuer, il renonce. Expédié disciplinairement en Algérie, il attend sa démobilisation et y reste pour travailler jusqu’à l’indépendance dans la compagnie pétrolière américaine qu’il suit quand elle déménage en région parisienne. C'est là qu'il rencontre son épouse (ils se marient à la mairie du 5e arrondissement) qui lui donnera deux garçons et deux filles. Ils s'installent à Lanvaudan où ils rêvent, lui comme une cigogne sur son Mustang au-dessus des clochers, et elle, de continuer à couler des jours heureux en s’adonnant aux activités des associations lanvaudaises, soutenant son bonhomme de mari dont elle dit : « Il mérite de finir son avion. »

Mais Georges sait qu’il ne volera plus. Un maudit accident de santé l’en empêche, mais, précise- t-il, « ce n’est pas les candidats qui manquent pour le faire voler ». Des Américains, par exemple, fous de cet avion. Lui, qui se dit propriétaire de rien, mécréant de tout, pilote antimilitariste – il a choisi ce chasseur pour sa seule élégance arachnéenne –, qui a volé en aéro-club à Lann-Bihoué et Pontivy, regardera du sol l’oeuvre de sa vie virevoltant et pirouettant dans le ciel breton, sans regret aucun des choix d’une existence animée par le pérenne sentiment que seuls les rêves les plus fous méritent d’être vécus.


Lucien GOURONG

Après avoir exploré en partie les imaginaires qui ont forgé l’identité du Pays de Lorient, Lucien Gourong, globe-conteur et écrivain, poursuit sa quête des originalités de cette terre d’entre ciel et mer en partant à la découverte de ses gens, ces hommes et femmes d’ici, passionnés de sa grande et de ses petites histoires.

 

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