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Mémorable épopée des forges : le militantisme à toute épreuve

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Au lycée Dupuy-de-Lôme, au début des années soixante, plusieurs de mes condisciples d'Inzinzac-Lochrist et des communes rurales avoisinantes, fils d'ouvriers des Forges, craignent pour le sort de leurs pères qui se battent pour leur gagne-pain avec cette solidarité née dès la mise en marche de la centenaire usine à fer vouée aux mannes du dieu Vulcain. Le potache que je suis s'extasie des luttes de ces hommes et femmes - ouvrières et femmes d'ouvriers - unis sous l'étendard de la fraternité prolétarienne.

Le souvenir impérissable du 28 mars 1962

Le 28 mars 1962, dix jours après la signature des accords d'Évian qui mettaient fin à la guerre d'Algérie ode nombreux fils de forgerons avaient connu des feux aussi sinon plus meurtriers que ceux vécus par leurs pères aux fours et laminoirs où cinq générations de travailleurs s'étaient usées dans la géhenne infernale du métal en fusion, j'attends au bas du boulevard de Normandie le cortège parti d'Hennebont. Il pleut. Un temps de chien. Jamais je n'oublierai l'arrivée sous une armée de parapluies de ces hommes, femmes, enfants, sur le pont Saint-Christophe. En me glissant au milieu de cette foule compacte en marche, naît en moira superbe d'être aux côtés de ces damnés du fer et du feu réclamant le droit de faire dignement vivre leurs foyers logés des cités ouvrières.

Un siècle de combats

Cette action, qui remémore la grève victorieuse de 1903 des Forges rouges, l'échec de celle de 1906 qu'anesthésia l'action syndicale deux décennies, le joyeux tourbillon de1936 où les ouvriers découvrirent la rade et les Coureaux et s'adonnèrent aux joies de la plage à Gâvres, fut suivie des grandes manifestations du 22 juin 1963 où une foule immense fit le serment à Hennebont de s'opposer par tous les moyens à la fermeture et du 26 octobre où 25 000 manifestants parmi lesquels des paysans en tracteurs et plusieurs religieuses en cornette applaudirent à Lorient les discours de résistance. François Giovannelli, le maire d'Inzinzac-Lochrist,était de tous ces combats-là. S'il ne fut qu'un parmi tant d'autres, peu allièrent comme lui de son anthume, je le dis sans flagornerie, la lutte syndicale, l'action politique, le combat social et culturel.


François Giovannelli, le militantisme chevillé au corps

Cet homme, au nom fleurant bon la garrigue corse dont les parfums embaumèrent sa naissance en 1907, avait chevillé au corps grâce le républicanisme de son père, né à Piana, nommé aux contributions d'Inzinzac-Lochrist où il débarqua en 1911 avec son épouse ajaccienne et ses enfants. François fréquenta comme ses frères les écoles laïques de la commune et d'Hennebont,avant d'entrer aux Forges à 18 ans où devenu comptable, il parvint à convaincre ses collègues de bureau à se syndiquer. Alors le syndicalisme dans l'entreprise étouffé par l'échec de 1906 vivotait. À l'engagement syndical s'ajouta l'action politique à la SFIO qui ne l'empêcha nullement de jouer du saxo dans l'harmonie des Forges auprès de son ami, le communiste et cégétiste Florimond Allain,de frapper le ballon aux Enfants de Lochrist, club laïc soutenu et développé parle directeur Camille Herwegh qui, malgré son laïcisme, son radical-socialisme,son engagement maçonnique, symbolisait ce patronat paternaliste, réactionnaire et autoritaire de droit quasi divin bien qu'il n'entrât jamais à l'église où il conduisait sa femme le dimanche. Face à son oppression syndicale, François Giovannelli créa en 36 avec d'autres l'US Montagnarde, milita activement à la CGTU puis à la CGT réunifiée. Entré au Conseil Municipal en 1938 avec 7 colistiers socialistes qui, refusant de signer en 40 les pleins pouvoirs à Pétain, furent révoqués il quitta les Forges pour diriger la Coopérative ouvrière - la fameuse Coop rouge dont il était administrateur. Élu maire en 1945 et ce jusqu'en 1977,il assuma aussi la présidence de la FOL du Morbihan et du Club des loisirs de la commune qu'il avait créé. Ses réalisations en tant que premier édile - où lui succédera son fils Jean, marié à Gisèle Le Rouzic, l'égérie de l'histoire des Forges qui écouta beaucoup son beau-père, son propre père, forgeron aussi et tant de leurs camarades - déroulent une longue litanie depuis la création de la première école maternelle au stade du Mané Braz, du gymnase au centre culturel (l'actuel Trio). Beaucoup de Forgerons furent fiers de se compter parmi ses amis à l'image d'un Pierrot Le Guen.


Pierre Le Guen, la mémoire vivante des derniers forgerons

Qui ne connaît Pierrot à Lochrist, né dans la Cité Bleue de la Montagne en 1934, fils et petit-fils de lamineur, qui, après la communale à la Montagne et l’EPS de Lorient, entra aux Forges à l’âge de 18 ans comme tourneur avant de se marier à une fille et petite-fille de forgerons. « À cette époque, dit-il, malgré les rumeurs, on ne pouvait croire à la fermeture. On était en train de tout moderniser. On fabriquait au lieu des lingots de 300 kg des 7 tonnes d’où on tirait des bobines d’acier de 3 km. Le travail était toujours dur, ajoute Pierrot, surtout au Trio où le métal était mis en largets et au laminage où travaillait son père. » Quand il rentrait à la maison, sa chemise était tellement trempée de sueur qu’elle tenait debout toute seule. On peine à imaginer ce que fut le travail de bagnard de ces hommes, rougis par le feu, les poumons noircis par les vapeurs – beaucoup mourraient de la tuberculose. « On a dit et écrit qu’ils buvaient beaucoup, ajoute Pierrot, mais comment auraient-ils tenu autrement. Et ils buvaient
souvent que de la piquette. Parfois du cidre. Peu de vin.
»
On écoute des heures Pierrot Le Guen, mémoire vivante de ces Forges dont la fermeture l’amena à la SBFM. Il fut avec Gisèle Le Rouzic l’un des piliers de l’écomusée. « Si je l’ai fait, précise-t-il, c’est pour elle, pour nos pères, pour eux, ces hommes et femmes confrontés aux dangers d’un travail de Cayenne qui les blessait et les faisait souvent mourir avant l’âge. Et pour que l’on n’oublie jamais l’esprit de solidarité qui les animait tous, au-delà des divergences syndicales, politiques et idéologiques. »


Né à Groix, Lucien Gourong, conteur, écrivain, chroniqueur, revendique haut et fort ses racines d’enfant du Pays de Lorient dont il porte sous ses talons de raconteur d’histoires, aux quatre coins du monde, un peu de terre depuis 40 ans. Cet infatigable collecteur et passeur de mémoires (titre d’un documentaire de 52 minutes de France 3), qui anime des séances publiques
« Partageons nos histoires, évoquons nos souvenirs » sur tout le territoire du Pays de Lorient, nous livre à travers une chronique toute personnelle sa quête des racines et des imaginaires de ce pays… En un mot, nous raconte son Pays de Lorient.

 

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