Ce qu’il y a d’extraordinaire quand on écoute quelqu’un raconter avec passion les petites histoires des petites gens d’un patelin où l’on est né et on a vécu, c’est que souvent affleure l’universalité des êtres et des choses. Ainsi des souvenirs savoureux, mais combien précieux, de Jean-Pierre Le Floch, fils d’Antoine, pharmacien de Plouay qui en fut le maire 14 ans (1945-1959) après avoir pris la succession de son père, greffier du tribunal de paix, élu conseiller général en 1922 et premier édile en 1935.
« Je ne l’ai pas connu, confie Jean-Pierre, mais je sais qu’après avoir battu les derniers représentants de la noblesse plouyasienne, les Pluvié, il fut un élu dévoué, se rendant en mairie ou au Conseil général en costume breton et chapeau à guide. » Si l’histoire des siens, ces Le Floch qui, de 1789 à 1960, donnèrent à Plouay et Calan de nombreux maires et élus, revit en filigrane dans son livre La Petite Histoire de Plouay, c’est surtout celle du peuple qui exsude à travers le passé d’une bourgade agricole d’après guerre où la vie d’une communauté séculaire n’a pas encore été par trop bouleversée.
Bien que fils de notables, notre chroniqueur s’est toujours senti proche des modestes. Son meilleur copain d’enfance, fils de sabotier, galopin capable d’attraper à la main les truites, lui apprend à fabriquer les meilleurs lance pierres de la commune avec la gomme de chez Léonce Lescop, quincailler voûté dans sa blouse grise, sourd comme un pot, à qui les gamins lancent « Léonce, t’es un con ! », à quoi, croyant qu’on lui parle du temps, épond : « Pourvu que ça dure ! ». C’est avec des garnements de cet acabit qu’il débusque les grillons de leurs galeries avec une paille, une cartouche ou en pissant dans le trou. « On les vendait pour les pêcheurs au Café Tabacs Articles de pêche d’Antoine Le Gall qui en indexait le prix sur celui du carambar. »
Dans l’imagier de Jean-Pierre, qui, ne se jugeant ni assez doué ni assez motivé pour prendre la succession de son pharmacien de père, devint premier clerc de notaire, défilent des personnages de cinéma et de BD, dignes de figurer dans le film Ni vu ni connu aux côtés d’un hilarant De Funés. Il y a ces commerçants, artisans, ces chasseurs et pêcheurs, tous braconniers sur les bords et pas peu fiers de l’être.
Revit ainsi un Plouay disparu où l’image de son père maire et pharmacien, acteur incontournable de la vie sociale, reste tutélaire. Les portraits défilent. Il y a le marchand de cycles, René Le Tohic, dit Cam, président du Comité des fêtes, qui fabrique ses propres vélos sous la marque La Petite Bretonne. L’évocation du personnage, qui fut aussi photographe (on lui doit des centaines de cartes postales de Plouay) et projectionniste qui, au café Guyonvarc’h, faisait découvrir Les deux orphelines ou La porteuse de pain, interrompant le film pour aller boire un coup, l’amène à évoquer le docteur Berthy. Celui-ci réorganisa avec l’aide de René Cam, les Fêtes de Plouay, devenues aujourd’hui le Grand Prix cycliste et qui connurent au départ un immense succès avec des courses de chevaux effrénées et de mémorables tournois de lutte bretonne. Et Jeanne Bouboule, habillée d’un bleu, qui menait de ferme en ferme les vaches au taureau. Et la tante paternelle Fine qui tenait le magasin de tissus où toute la campagne environnante affluait pour acheter qui un bout de cretonne, qui un morceau de coton, qui un caleçon long. Jean-Pierre a une pensée émue pour les copains d’école, ceux de l’école du Diable, car le grand-père, radical socialiste, avait imprimé dans la famille le sens de laïcité, « ce qui ne m’a pas empêché d’être baptisé et d’être promu parrain du coq du clocher en 1962. »
On l’écouterait des heures tant il connaît les mille et un petits secrets de la noble plèbe plouyaisienne, collectionnant des milliers de photos, cartes postales, documents sur l’histoire si notable de cette commune, racontant avec faconde, mais aussi honnêteté, évitant de blesser, un passé pas si lointain mais qui se serait irrémédiablement perdu sans le travail auquel il se livre. Des dizaines de lecteurs qui ont plongé avec délices dans son livre, sans prétention littéraire, lui ont fait le plus beau compliment qui soit : « Tu nous as rendu notre passé et notre fierté d’avoir été des gens simples avec des histoires vraies sans laquelle il n’y aurait pas de vraie histoire. »