Avant la dernière guerre, la Grande Plage de Gâvres et la pension de famille Le Pesquer sont très prisées d’une clientèle populaire et ouvrière qui débarque depuis Hennebont, Lorient et Lanester.
Entre les deux guerres, le tourisme balnéaire des années folles n’a plus rien à voir avec celui de la Belle Époque. À l’heure de la soif de vivre, la grève devient la plage avec ses jeux, ses sports, ses plongeoirs, ses initiations à la natation, ses concours de châteaux de sable, ses clubs. Le bain est hédoniste, le bronzage de rigueur, la mixité totale, la pudeur au diable. Les maillots de bain une pièce moulants remplacent les accoutrements puristes et maniérés d’antan. Deux témoignages à propos de Gâvres et de Larmor-Plage nous plongent dans cette époque où les classes populaires découvrent les joies de la plage.
Françoise Quer, la petite fille des premiers hôteliers gâvrais
Françoise Quer, qui a créé l’originale et chaleureuse librairie-boulangerie de Gâvres, est l’arrière-petite-fille Le Pesquer. « Ce sont mes arrières grands-parents, raconte-t-elle, qui ont créé cette pension, où l’on servait plateaux de fruits de mer et homard au kari (le karigosse bien sûr), au bord de la Grande Plage que sont venus découvrir lors de leurs premiers congés payés de 1936 les ouvriers des Forges d’Hennebont. »
Un document publicitaire de l’établissement en 1935 vante cette plage, sûre, sans dangers, la plus belle du Morbihan, desservie par vedettes depuis Lorient et la pension de famille Le Pesquer idéale pour les touristes aimant simplicité et vie de famille. « Mon aïeule, Marie Le Pesquer, poursuit Françoise, vendait aussi de la laine, tricotant elle-même lors des veillées d’hiver des maillots ». Les mêmes, dont parlait à Groix ma meumée Marie Ange, dont le fond en sortant de l’eau était devenu un cul de chalut où l’on trouvait rigadeaux et palourdes. La pension Lesquer n’a pas survécu aux avatars de la dernière guerre.
Eugène Rémilly (1925-2017), maire d’un touristique Larmor-Plage animé
Quand je décidai cette chronique, il m’apparut que le personnage incontournable à interroger était Eugène Rémilly. Né le 11 février 1925 à Larmor, « déclaré à l’état-civil de Plœmeur dont dépendait Larmor, je suis, me confiait-il, Larmorien larmorien ». Conseiller municipal, 1er adjoint, maire 12 ans, député européen, président de la Confédération nationale et européenne des détaillants de tabacs, je connaissais depuis les années 70 cet homme admirable – je le dis sans flagornerie-, chevalier de la légion d’honneur, officier du Mérite National, passionné de mer et de bateau.
Attaché à la rédaction de Ouest-France de Lorient, je suivais l’animation touristique de cette commune, sous la férule de son adjoint René Plumet, et la vigilance de Jean Pierre La Loi, ancien marin-pêcheur, garde champêtre de la Commune libre de Kerdreff. Ces étés-là furent follement animés. J’ai passé donc tout un après-midi à écouter Eugène, en compagnie de son épouse dont il soulignait que sans elle, sa longue vie n’aurait pas été aussi bien remplie.
Footballeur aux Merlus et aux Goélands dont il fut dirigeant et président, il me raconta avec passion son enfance dans le bazar de sa mère, place de l’Église, ses gâteaux et surtout ses berlingots dont il regrettait que la recette ait été perdue, les bistrots de marins de la pointe des Blagueurs, les restaurateurs de la station (Edelin, Derrien, Caillaud, etc.), sa scolarité à l’école publique qu’il abandonnait pour aller faire l’enfant de chœur.
Il me conta son adolescence, les joies de la baignade, de la pêche, les bals larmoriens, les parties de billard. «Je jouais au billard à La Potinière justement, me dit-il, lorsque j’ai vu la Tanche sauter le 19 juin 40. Au début 43, comme beaucoup d’habitants, nous avons quitté la région. Nous nous sommes réfugiés à Versailles dans la famille de mon père. Quand nous sommes revenus en 46, après que j’eus quitté la 1re armée françaises où je m’étais engagé, la désolation régnait sur Larmor. Le tourisme qui allait renaître n’aurait plus rien à voir avec celui d’avant-guerre. Le temps des belles villas des bourgeois lorientais avec terrain de tennis était enterré. Ah ! J’en aurais encore à te raconter ».
J’espérais bien retourner écouter cette incroyable mémoire de 90 ans. Le destin en a décidé autrement. Bon vent, Eugène vers le Bro ar Ré Yaouank des Celtes, le paradis de l’éternelle jeunesse, derrière l’horizon de la mer d’Occident sur laquelle tu aimais tant cingler.
Lucien GOURONG
Après avoir exploré en partie les imaginaires qui ont forgé l’identité du Pays de Lorient, Lucien Gourong, globe-conteur et écrivain, poursuit sa quête des originalités de cette terre d’entre ciel et mer en partant à la découverte de ses gens, ces hommes et femmes d’ici, passionnés de sa grande et de ses petites histoires.