Un descendant de vieille souche groisillonne exilé à l’autre bout du monde, à la recherche dans l’île de ses racines ancestrales, s’entendr sûrement répondre en interrogeant les autochton : « Faut aller voir Jo » . Jo ? Jo Le Port, uoi. À l’état civil Joseph Marie Thomas (prénoms de ses mère et père) que le père Beudeff (géniteur du célèbre Alain qui fonda dans la descente qui monte du port au Bourg le plus célèbre bistrot de marins du monde), appelait toujours Joseph. Jo, qui assura un quart de siècle à la taverne éponyme Ty Beudeff le rôle d’emblématique barman, contribua aussi par sa culture gréco-maritime à donner une âme à ce lieu mythique.
Jo Le Port, c’est la mémoir de l’île, pas celle de l’Histoire avec un grand H (existe-t-elle même ?) mais celle de la chair, des familles, des patronymes, de la toponymie, du cours des jours avec ses drames que la mer sait si bien pourvoir, ses us, coutumes et traditions. Et sa langue, ce bas-vannetais du Pays de Lorient, pas maternelle puisque sa mère ne la parlait as - mais qu’utilisaient fré- quemment sa meumée et les anciens de l’île que Jo a si souvent sollicités pour l'apprendre, arrachant ainsi d’un oubli éter- nel des lambeaux d’une histoire mémorielle insigne.
Jo est, avec José Calloch, le dernier bretonnant du « grec » de Groix qu’ils se sont tous deux réapproprié. Extrêmement sollicité par les demandes de renseignements, Jo rechigne rarement à informer ses interlocuteurs en quête des racines d’un peupé, d’une nainaine, d’un tonton, morts depuis belle lurette. Il n'a pas attendu l’arrivée des logiciels généalogiques, relevant et recopiant à la main, il y a plus d’un demi-siècle, des milliers d’actes et d’archives, non seulement à Groix mais aussi à la Marine, au Département, etc. Une patience de bénédictin, doublée d’une passion à écouter les acteurs d’un passé évanescent, qui, du village du Méné où il est né voici 70 ans, l’a mené à Locmalo en Port-Louis sur les traces paternelles des Le Port ou à Lesneven sur celles maternelles des Billès. Une curiosité qui lui a donné des ailes pour survoler siècles et lieux depuis cette île natale ouverte sur le monde et au monde.
Et Jo, le monde, il connaît un peu, on ne le sait pas assez, ne serait ce que pour l’avoir parcouru lors de son service dans la marine. « On ‘tait à Valparaiso le soir du 31 décembre 1968 , raconte-t-il avec sa faconde aux accents « grecs » nimitables ; on nous appelait des fenêtre : hé les marins français, montez boire un coup. Je crois que si j’étais allé chaque fois, j’y serais encore. »
De l’humour, et de la culture, il en a, comme il l’a encore prouvé en mai dernier lors de la venue d’Elmar Ternés à Groix. Il a raconté à une assistance pendue à ses lèvres comment il s’était de lui-même intéressé, à la suite d’une primo infection en primaire (sic) chez Les Frères, à l’histoire de l’île et de la Bretagne qu’il ne savait même pas situer puisqu’il n’y avait pas de carte à l’école. « La seule de Groix que je connaissais, précise-t-il avec malice, se trouvait sur la bouteille de vin Sourire de l’île.
Ce n’est pas un grand bavard, Jo, quand il lui faut parler de lui. Et pourtant on apprend beaucoup du gars du Méné qui passait son temps chez sa meumée, fut privé tout un été, à cause d’une maudite cuti positive, de plage et de baignade, accident de santé qui le mit six mois en retard sco- laire et l’amena à choisir l’école d’apprentissage maritime d’Etel. Après un voyage de mousse au pétrole qu’il détesta, il entame une carrière de marin-pêcheur, novice matelot, d’abord sur une pinasse avec son père, puis sur les chalutiers de Keroman. Brevet de lieutenant en poche, bosco sur les pêches arrière, un problème de vue l’empêche de passer son patron de pêche. Qu’il aurait sûrement obtenu. Dégoûté, Alain Beudeff lui ayant proposé de servir dans son bar, il accepte le job, continuant de naviguer à Groix à la pêche artisanale et côtière. Avant d’opter définitivement pour le statut de tavernier qu’il a tenu 25 ans après 20 ans de mer. Il poursuit à l’heure de la retraite avec une rigueur toute historique un travail d’archives et de cueillette de mémoires, me confiant qu’à travers sa quête du passé exsude souvent un temps pas si différent du présent. Preuve que la nature humaine est bien universelle et toujours d’époque.